lundi 23 septembre 2013

Soudaineté : Amadou & Mariam à Saint Ouen


J'ai ouvert un de mes yeux ce samedi matin, devant un documentaire sur Bruce Lee, avec entre autre une analyse détaillée du Jeu de la Mort, le dernier film de Bruce Lee, son chef d'oeuvre sorti en 1978. L'angle du documentaire étant que Bruce Lee mène là son plus long et plus dur combat : son combat contre les styles. Dans Le Jeu de la Mort, l'action se passe dans un temple, découpé en cinq niveaux, avec un combattant représentant un style d'art martial différent à chacun d'entre eux, et Kareem Abdul-Jabbar en boss final. Ce qui deviendra l'archétype du jeu vidéo de baston à venir, mais ce n'est pas notre sujet du jour. Au dernier niveau, donc, la scène iconique des 2 mètres 20 du géant filiforme aux lunettes noires contre Bruce Lee en combinaison jaune à bande noire. Et le coup de pied sauté contre Abdul-Jabbar le combattant au style inconnu. Bruce Lee, sur le point de se faire tuer et de perdre à jamais son frère et sa sœur prisonniers de la méchante méfia coréenne, n'a plus qu'à tenter sa dernière chance : l'insurmontable Abdul-Jabbar, souffre de la lumière. Pour gagner contre lui, Bruce Lee brisera tous les carreaux qui assombrissent la pièce, illuminant et aveuglant son ennemi, pour le ramener à sa merci. La combinaison jaune à bande noire deviendra le symbole de l'indépendance de Bruce Lee contre les styles et les chapelles. D'ailleurs, Tarantino, engagé dans un combat similaire, ne s'y trompera pas et reprendra la combinaison jaune à bande noire pour habiller sa mariée vengeresse.

Puis le soir, je suis sorti, presque en face de chez moi : Amadou & Mariam en concert gratuit. Arrivé sur place, au milieu d'un morceau, ma première sensation a été un long frisson, qu'il ait été provoqué par le reste de fièvre d'un rhume automnal ou par la musique en cours n'a que peu d'importance. Ce qui a compté c'est la répétitivité et la syncope des longs morceaux. Derrière les lunettes noires et la guitare dorée d'Amadou, j'y ai parfois entendu les hypnotismes de Pete Sonic Boom, John Lee Hooker ou des Happy Mondays ; à chacun la faiblesse de ses styles et de ses chapelles. Que de hauts que de bas, C'est la vie dans ce monde. Triste réalité. J'y ai parfois entendu du dub, autre agrégateur, et j'ai vu certaines danses qu'il est difficile d'évoquer pudiquement. Des déhanchements sur des accords bloqués, quelques notes infinies rompues par des contre rythmes frappé du djembé ou de la cuisse, eux aussi au bord de la syncope. Il faut que d'autres veillent, d'autres dorment dans ce monde.

Puis j'ai repensé à la musique d'Amadou & Mariam, leurs collaborations avec Santigold, Bertrand Cantat, Ebony Bones, les Scissor Sisters, M, Theophilus London, Manu Chao, et à certains remix moins avouables et je repense au chameau éclectique de Charles Jencks :
"Les constructions hybrides cherchent souvent  à être hybrides et nous les comprenons mal en leur appliquant les critères de la pureté stylistique. […]
La vieille définition d’un chameau comme « un cheval conçu par un comité » fait apparaître non seulement le mépris habituel qu’encourrent les hybrides, mais également le fait latent que le chameau n’est pas un animal raté, qui essaie d’être un cheval et n’y arrive pas, et qu’il est, de plein droit, un quadrupède valide, laid, splendide."*

Et soudain, Bruce Lee avait raison : les chevaux pur sang, les styles et les chapelles sont définitivement de vieux carreaux à briser.


*Charles Jencks – Introduction à l’Architecture Bizarre - 1979

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