Sorti par les escalator de la ligne 13, je passe près des marches de l'église barrées de soleil. Avant de traverser le petit parc qui me ramène chez moi, une voix et quelques notes m'arrêtent : un homme noir joue de la guitare assis sur les marches, un petit micro, un minuscule ampli beige. Je m'approche doucement, l'air d'attendre quelqu'un. Tout en écoutant je commence à observer, ce qui est sûr c'est que c'est inhabituel. Déjà pas mal d'année que j'habite non loin d'ici et les chanteurs de rue, de surcroît heureux, sont plutôt rares.
Je me rappelle toutefois les longs accords distordus de Serge Teyssot-Gay entendu il y a quelques années dans le parc à côté, beaux comme des blues de Thurston Moore. Mais cette fois ci ça ne semble pas être une animation de la ville, il n'y a aucun ruban de la mairie. Notre chanteur ne semble pas non plus faire la manche, ni ne rien attendre d'un public d'ailleurs fugace : dispersées autour de la petite place il y a quelques grands pères arabes installés à discuter ; un jeune homme hip hop chic qui semble attendre sa copine ; deux enfants qui jouent au foot, leurs mères étranges et quatre polonais ivres morts qui hurlent par intermittence. Trois petites filles viennent d'arriver et se collent au chanteur... la place est pourtant presque vide. Le chanteur tourne la tête dans ma direction et sourit dans son rayon de soleil.
Sa voix est incroyablement belle : fragile et assumée dans le même temps. J'ai même pensé un instant qu'il s'agissait d'une reprise de Terry Callier, mais en écoutant mieux, j'entends maintenant la répétitivité des notes, une mélodie africaine hypnotique parfois océane, peut être un peu du mento de Stanley Beckford ? Il y a aussi indéniablement du blues, celui du delta de John Lee Hooker, dans ses accords et sa façon de marquer le rythme en faisant claquer son talon et sa cheville sans doute ceinturée de petits grelots. Les voitures circulent autours, les klaxons, les conversations des passants rentrant du travail ou se rendant au Mc Donald à côté, le ballon des enfants qui manque de renverser le micro, le bruit des bouteilles en verre qui se cassent dans la poubelle lorsqu'un polonais titubant s’effondre sur les marches à coté du chanteur. Les feux passent au rouge, les feux passent au vert, les camions, les voitures et les scooter ronflent autour, mais alors que le soleil s'écroule derrière le toit de l'immeuble d'en face, les chansons continuent - même Bagdad Café, fragile - chacune ouverte par un sourire et ponctuée par une petite salve de grelot.
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