vendredi 11 avril 2014

L'Eve Serpentine : Brigitte Fontaine à l'Eglise Saint Merri


Tout en parlant à P. des différents cimetières parisiens que nous avons visité C. et moi, j'entends l'émouvante reprise de Go Down Moses d'Armstrong chanté par Mammane Sani. Suivront les occitans psychédéliques de Jéricho, jouant de la vielle électrique et de la voix comme Tony Conrad joue du violon, c'est à dire avec longueur et hypnotisme, quand je remarque sous le grand orgue de l'Eglise Saint Merri, une petite horloge, et bien qu'il soit plus de 21h45 - je viens de vérifier sur mon portable - ses aiguilles sont arrêtées sur 9 heures.

Brigitte Fontaine aussi semble avoir des problèmes avec son horloge personnelle, et le public commence à s'impatienter. Après un temps incertain et un changement de position stratégique de notre part, une petite tête dorée à la frange noire apparaît sous le grand orgue.

Au milieu de cette grande et belle Eglise Saint Merri, Brigitte Fontaine commence par La viande, la viande sur la table, par terre, sur les étals, sous la pluie, étalée, la viande des hommes, des femmes, surement parce que nos corps serrés se tiennent face à elle, si petite dans cette vaste église, mais sa voix profonde retombe des voûtes et je dois avouer que des prêches comme celui ci j'en ai peu entendu dans des églises, même quand celle ci abrite un bar sous ses croisées d'ogives gothiques...

Au fond de la grande nef, à droite de Fontaine, je distingue Areski portant un chapeau de troubadour assorti au noir du piano de Dondieu Divin. Quelques notes de piano émergent, et Fontaine commence RiffifiL'empire de la nuit, Plus noir qu’la série... quelques échos plus loins, d'autres phrases, encore : Miss Blandish folle et seule, Enlevée par la mort, Lâche une rose veule, Et c'est encore l'aurore - et j'entend la voix et les manières de Kim Gordon comme un double vibrant autour des textes de Fontaine, arrachés d'une voix qui s'élance et racle contre les murs, s'entortillant entres les délicates colonnes gothiques comme une Ève serpentine enroulée entre des branches d'arbres tend la main et la croupe pour se saisir du fruit de la tentation.

Sur la petite horloge, il est toujours 9 heures quand Fontaine entame son Je vous salue marie pleine de grâce, car jésus le fruit de vos entrailles est béni, et il est encore 9 heures quand repartie puis revenue, puis repartie puis revenue, capricieuse comme une Pharoah Sanders aux yeux mi clos, elle s'en ira finalement sur Salam Salam. Et bientôt dans la rue, une main dans la mienne, j'entends ces quelques mots : Mais les femmes s'en balancent, Quand sortent les pétards, Elles éteignent leur transe, Au lait de nénuphars.


Relire Je suis vieille et je vous encule, Brigitte Fontaine au Trianon (2012) et voir les photos officielles du Sonic Protest 2014.

Photo : Jéricho sous le grand orgue : on distingue le petit rond blanc de l'horloge aux 9 heures éternelles.

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