vendredi 14 juin 2013

La contrefaçon Gaga


Orlanl'artiste qui a fait de son corps une sculpture, est passée contre son gré dans le moodboard perpétuel de Lady Gaga. Selon Libération, Orlan "réclame 31,5 millions de dollars (23,7 millions d’euros) à la chanteuse américaine et à Universal Music France pour copiage de ses multi-hybridations, ainsi que la cessation de commercialisation de l’album Born This Way (2011), avec suspension du clip de promo afférent."

Aux nombres des emprunts, citations, plagiats fait à Orlan par Gaga, on peut noter : les bosses frontales qui sont subtilement passées de rondes à triangulaires, le bigoudi dans les cheveux multicolores, les bosses cette fois ci triangulaire d'Orlan pour sa sculpture futuristico charnel Bumpload (1989) et peut être un peu plus difficiles à identifier (parce que fusionnées) on peut aussi voir des références à "ORLAN accouche d'elle-m'aime (1964)" et "Étude documentaire: La tête de Méduse" ou "il s'agissait devant une énorme loupe de montrer mon sexe (dont les poils d'un côté était peints en bleu) et ce, au moment de mes règles, un moniteur vidéo montrait la tête de celui ou celle qui allait voir , un autre montrait la tête de ceux ou celles entrain de voir, à la sortie le texte de freud sur la tête de méduse était distribué (texte qui dit: "à la vue de la vulve le diable même s'enfuit")"

Ce qui est intriguant avec Gaga, c'est qu'elle emprunte, cite, plagie des artistes qui sont eux même des emprunteurs : les postmodernes. Cindy Sherman au travers de ses photos se déguise en homme, en femme, multiplie les identités et les citations à l'histoire de l'art, aux tableaux classiques, aux films noirs. Orlan de son côté puise dans les arts primitifs ou dans l'histoire de l'art occidental des masques incas, une Madone Baroque, ou l'Origine du Monde de Courbet - une peinture d'un sexe de femme cadré mi cuisse mi ventre - auquel elle oppose son Origine de la Guerre - une peinture de même facture, cadré à l'identique, d'un sexe d'homme en érection.

Mais ce qui différencie Gaga de Sherman ou d'Orlan par exemple c'est qu'en citant des artistes Postmodernes - donc des artistes de la citations - Gaga se pose en méta-prédateur : elle cite ceux qui citent. Ou pour être plus positif, on pourrait aussi dire qu'elle devient une sorte de commissaire d'exposition DJ à la Nicolas Bourriaud ou un cinéaste DJ à la Tarantino. Pour Sherman s'insérer en tant que femme travestie ou sur-féminine dans l'histoire de l'art sert à questionner le statut de la femme : c'est une féministe à l'attaque d'un monde dominé par le masculin. Orlan, revendique elle aussi la pleine possession de son corps de femme, son devenir et ses modifications. Quand elle amalgame des représentations du corps féminin choisies à travers l'histoire de l'art pour en constituer, pour se constituer en monstre, en être unique, il s'agit d'une position d'oppressé qui revendique et qui attaque un système dominant - le monde masculin, ses représentations et son appropriation du corps de l'autre.

C'est très différent de la démarche de Gaga. La Lady, à travers son appropriation fast food d'artistes radicales, ne cherche aucunement à renverser un ordre établi : c'est elle la tête pensante de ce système marchand, sa tête de gondole. Ses emprunts et ses citations ne dialoguent pas, ils profitent. Ses représentations et ses figures de monstres ne questionnent pas, ils ne sont qu'un packaging différenciant au service d'un produit trop similaire à la concurrence - un délicieux conservatisme musical à base de dance des années 90, celle d'Anastacia ou d'une Madonna reliftée - comme quand Danone change le design de son pot de yaourt : "Un régal, même pour les yeux".

La saveur Orlan du Gaga Nouveau étant passée, nous nous proposons d'optimiser le temps de travail de ses assistants (si on peut aider en temps de crise...) en vue de leurs prochaines recherches : Penser à regarder les enculages de Paul McCarthy, ceux de Dinos & Jake Chapman, découvrir les extensions déformantes de Lucy McRae et les vêtements Iris Van Herpen (ah, non, ça c'est déjà fait). Revoir aussi Existenz de Cronenberg et l'intégrale des clips de Chris Cunningham. Réfléchir aux écorchés d'Honoré Fragonard, etc...

Note pour les assistants Gaga : ne pas oublier d'aller un peu loin qu'une recherche Google Images afin d'éviter les procès à répétition. Il doit bien y avoir des livres sur le sujet, quand même... ?


PS pour Mme Orlan : Chère Mireille, félicitations, grâce à Gaga et à votre ingénieuse idée de procès vous venez de gagner une campagne de pub internationale de première envergure.


Et comme nous aussi on a Google Images, on vous refait le Moodboard de Born This Way :



Lady Gaga - Born This Way / Orlan - Femme avec tête (1996)



Lady Gaga - Born This Way / Orlan - Bumpload (1989)



Lady Gaga - Born This Way / ORLAN accouche d'elle-m'aime (1964)


Lady Gaga - Born This Way / Orlan, étude documentaire : le drapé le baroque (1979-80)




PS du lendemain : il me semble avoir été un peu injuste avec la First Lady du marketing musical, après plusieurs réécoute, son Born This Way est au niveau d'excellence du Piece of Me de Britney Spears ou du Smack My Glitch Up de Kid606 : un éternel tour de manège dans un Europark inouï.

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