mercredi 1 mai 2013

L'escargot de Baphomet : The Red Krayola et Cheveu & Xavier Klaine à l'Eglise Saint-Merri - Festival Sonic Protest 2013




Je lis le livre de Nick Kent - Apathy for the Devil à la terrasse d'un café en face de la fontaine aux automates, devant l'IRCAM. Je n'avais jamais remarqué le bruit sourd de la fontaine de Tinguely et Niki de Saint Phalle auparavant : un long drone mécanique, bruyant comme un Sacre de Printemps. J'attends P., Rue Brisemiche, ça promet. P. arrive peu après. Nous allons voir les Red Krayola et Cheveu & Xavier Klaine à l'Eglise Saint-Merri. Quelques bières plus tard, nous contournons l'église, et en passant devant l'entrée de la rue Saint Martin, en haut du tympan je remarque ce petit être cornu, accroupi sur lui même avec ses grandes ailes, qui tire la langue aux passants. Et il y a aussi un autre hermaphrodite, l'escargot, sous la voussure de la façade.

Après un peu d'attente - la soirée affiche complet - nous entrons dans l'église. C'est la première fois que je la vois de l'intérieur, enfin je ne suis pas totalement sûr, une image me revient : il y a quelques années la porte principale était ouverte et il y avait des sans papiers réfugiés à l'intérieur.

"- Vos billets svp ?... OK, Bonne soirée"
Dans l'autre file, celle sortante, des personnes quittent l'église, des bières à la main pour aller fumer une cigarette. Un bar dans une église ?
Nous poussons une grande porte en bois - entrée par l'aile droite du transept, et devant nous s'étale une forêt de colonnes - enfin c'est l'impression que j'en garde - l'éclairage est magnifique. Je me rappelle une histoire que ma grand mère me racontait quand j'étais petit : je rentre pour la première fois dans la cathédrale d'Autun, près de chez mes parents. Je passe la grande porte - lance en silence un coup d’œil - puis je m'exclame tout fort : "Oh mamie, c'est beau comme un dans un café ici". 30 ans plus tard, mon rêve est devenu réalité : il y a bien un bar et même un disquaire éphémère dans l'église Saint Merri. Quand je demande au barman si c'est une église désacralisée, il me répond "non, non, c'est une église catholique, mais ils sont assez ouvert...". Je regarde le grand orgue - il parait que Camille Saint Saens y a joué -aujourd'hui certains tubes sont recouvert de papier bulle. Un peu plus loin, je m'arrête devant un grand tableau : Saint Merri délivrant les prisonniers. On y voit deux têtes d'enfant aux yeux mi clos, sans corps et sans cou, leurs visages reposant directement sur une paire d'ailes, près d'un nuage qui semble les soutenir, et ça nous va bien à P. et à moi.

Un micro craque. Le concert des Red Krayola commence, une bouteille de vin rouge vite avalée entre Mayo Thompson et son guitariste Tom Watson. La reverb est immense et le jeu et la voix parfois incertaine, disons swinguante, qui font toute la musique des Red Krayola sur disque, mais qui n'est pas très pertinente en acoustique, pleine de bordeau. Transparent Radiation n'irradiera pas ce soir là : vite jouée, vite terminée, morceau suivant. Je resterai fidèle à la version de Sonic Boom.

Puis Cheveu & Xavier Klaine s'installent. L'orgue en majesté. Presque aussi beau que celui de la pochette de Justice sur Water of Nazareth. Commence le premier morceau de Cheveu, une mise en place comme un prêche : "C'est nos nouveau titres et c'est la première fois qu'on joue avec un truc aussi gros" lance David Lemoine, le chanteur, en guise d'excuse en pointant l'orgue géant. Le deuxième morceau est une sorte de cold wave motorik fuzzée. Je ne suis toujours pas dedans. Mais pendant le troisième titre, très violent, quelque chose se passe enfin dans les stroboscopes blancs et noirs. Un grondement. Un peu étourdi par la reverb géante, je lève les yeux et me rend compte que je me tiens sous la clef de voûte précédent le transept. Sur ma droite, à environ deux mètres de moi j'observe la chaire en bois qui devait représenter les figures du paganisme et de l'hérésie sous la cuve, et celle de la religion sur l'abat-voix. Je regarde plusieurs fois cette chaire, prend mes mesures : en y regardant bien je ne suis pas exactement sous la clef de voûte mais plutôt 10 cm en avant. Je songe un instant à me reculer, mais je suis bien, disposé ainsi le dos calé par cette limite imaginaire, a à peine 10 cm de mon aleph personnelle.

Un brouillard sonore envahit progressivement l'immense bâtiment, l'attitude de certaines personnes réveille en moi une propension pénible à la morale : je ne voudrais pas que ce lieu magnifique devienne un entrepôt post rave quelconque.
En parlant de ça, je dois vous décrire les WC mis à disposition pour l'occasion. Les pintes de bières ingurgitées taraudant maintenant ma vessie, je suis les affichettes annonçant "Pissotières gothiques". Une porte s'ouvre sur une petite cour intérieure, je m'avance et voit cinq types en train de pisser sur une bâche en plastique tendue au pied d'une magnifique tour gothique baignée de lumière bleue. Cinq autres types attendent et encore cinq autres. La pisse s'écoule dans une petite rigole à nos pieds et, au dessus de nos têtes sous un ciel éclairé par les lumière de la ville, les gargouilles attendent. Un nuage passe. Quelques heures plus tard, je rêverai que je marche sur le parapet extérieur d'un immense pont métallique rouge qui enjambe un fleuve boueux, suivit de ma fille et de ma mère, et quand je regarde en bas, je suis pris de vertige et il nous faut continuer d'avancer pour ne pas chuter 50 mètres plus bas dans les eaux sales.

Le concert est maintenant terminé. Je rentre chez moi. Dans les rues vides, je croise deux hommes le visage couvert de maquillage bleu et de faux sang dégoulinant du sommet de leur crâne. Installé de part et d'autre de la porte d'un petit café, ils ont l'air détendu et fument des cigarettes en plaisantant à voix basse. A l'intérieur du bar, une caméra filme deux autres acteurs dans une lumière oscillante.

Le lendemain, sur l'écran de mon ordinateur, je tape la requête suivante : "église saint merri". A la troisième entrée de la page de résultat, on parle du petit escargot aperçu à l'entrée, sous la sculpture de Baphomet :  "Parmi les anciennes traditions encore préservées, quoique morcelées jusqu'à devenir parfois incompréhensibles, on peut trouver une référence aux cérémonies qui étaient célébrées dans l’Égypte ancienne, notamment dans le labyrinthe d’Abydos en forme d’escargot. Toutes étaient relatives au temps. L’escargot est donc un symbole du temps et l’homme qui pénétrait dans ses détours mystérieux devait passer une série d’épreuves liées au temps. À la sortie, il devait avoir, en quelque sorte, transcendé la signification du temps. Tel était le symbole attribué à l’escargot, avec sa maison sur le dos, avec son temps de petites expériences sur les épaules, mais avec la capacité de lever les yeux et les antennes au-dessus de sa tête, de son corps, au-dessus de la matière inerte et pesante."*

Après tout, il est possible que les Transparent Radiations aient finalement trouvé leur chemin dans l'escargot de notre tympan.


*http://lieuxsacres.canalblog.com/archives/2009/05/25/13853557.html


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