mercredi 1 février 2012

Je suis vieille et je vous encule : Brigitte Fontaine au Trianon


« Louis de Funès entrait tout le temps en reculant et en repoussant le jour derrière lui. Comme font les grands acteurs intelligents. Il entrait toujours les yeux fermés et le pas décidé, comme un aveugle qui sait l'espace par cœur. Louis de Funès trouvait chaque soir son chemin dans le noir avec l'exactitude des grands égarés. » (1)

Brigitte Fontaine est aussi une grande actrice intelligente. Elle chancèle mais parait inamovible. Elle parait fragile puis soudain fait vibrer l'air autour d'elle. Elle est figée, assise, debout puis s'enroule sur elle-même, le long du pied de son micro, lentement, avec la grâce des petites danseuses mécaniques. Son chant est un équilibre instable, qui bascule d'un coté puis se rattrape de l'autre sur un roulement de "r ...rrr". Elle chante faux depuis longtemps mais c'est ce qui fait sa justesse : elle joue avec la plus grande rigueur. La distance à son personnage est parfois mince, si fine qu'elle en devient translucide, perle à même la peau comme sa coque de libellule,  «  Je suis vieille et je vous encule. ».

Elle accueille Bertrand Cantat sur scène, à trois reprises. Avec Brigitte, ils swinguent de manière violente, ils tanguent, déplaçant leur propre centre de gravité.

« L'élocution musicale, comparée à l'élocution ordinaire apparaît douée d'une semblable irisation, manteau de fée qui est l'indice d'une connivence entre ce qui pouvait sembler n'être que voix humaine et les rythmes de la faune, de la flore, voire ceux du règne minéral où toute velléité de geste se transcrit en une forme figée. » (2)

Ce sont des corps ouverts aspirant et expulsant des structures sonores animales jusqu'à notre tympan, le chœur de notre oreille interne. Et tout à coup ce sont nous qui chavirons.


(1) Valère Novarina - Le Théâtre des paroles
(2) Jacques Derrida citant Michel Leiris dans Tympan - Marges de la philosophie.

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