vendredi 22 avril 2011

Equilibre instable : Earth au Nouveau Casino


L'équilibre instable est un phénomène extrêmement intéressant. La première fois que j'en ai pris conscience, c'était au collège, en classe de physique. Mon prof tenait une fourchette par le manche entre ses doigts et faisait pendre les dents en bas. "Equilibre stable", avait-il dit. "Facile à obtenir, grâce à la gravité. Le poids de la fourchette est attiré vers le bas, vers le centre de la terre". "Et maintenant quelque chose de plus compliqué" nous avait-il annoncé. Il retourne la fourchette, le bout du manche toujours entres ses doigts et il met les dents de la fourchette en haut. "Et voilà !, là c'est l'équilibre instable." nous avait-il dit, un sourire triomphant éclairant son visage. "Les forces entrainant la tête de la fourchette vers le bas s'équilibrent et elle tient la tête en haut." J'ai été fasciné.

Quelques années plus tard, je viens de me renseigner sur la question, l'équilibre instable est une des composantes essentielles de l'être humain. Depuis le moment où l'on a cherché à se dresser sur nos pieds pour la station debout, nous avons été confronté à l'équilibre instable. Chez l'être humain, l'essentiel de la masse corporelle est concentré en haut, dans la tête, le cerveau donc et le tronc. Les pieds, les yeux et les ligaments envoyant des informations au cerveau qui tente de faire la part des choses, nous sommes continuellement en train de nous débattre, de maintenir un équilibre instable. Ce qui peut causer de grandes satisfactions quand ayant vous même oublié tout cela, vous vous enthousiasmez parce que votre enfant découvre ce principe primitif en faisant ses premiers pas, ou de grosses déconvenues quand votre cerveau ne gère plus rien et que vous vous retrouvez déstabilisé, sur le point de perdre pied, le nez à 10 cm du sol...

Quel rapport avec le concert de Earth au Nouveau Casino, le 13 avril dernier, me direz vous ? Ça a tout à voir vous répondrais-je. La répétition des sons de Dylan Carlson et leurs variations créant incessamment des informations contradictoires, nous plaçant au centre d'émotions elles mêmes contradictoires, entre immobilité et mouvements, entre fascination paralysante et plaisir du bond en avant.

Le jeu de scène de Earth est d'ailleurs catastrophique. Il ne se passe rien, des micro-événements au mieux. Mais l'intérêt n'est pas là. L'essentiel de la musique de Earth se passe en vous, au tréfond de votre être, tout près de votre oreille interne.

"Je crois que j'ai eu un orgasme sonore", m'a dit D., une amie qui m'accompagnait, en sortant du concert. "Avec rien, quelques bières et un peu de fatigue de boulot... et je crois que j'en ai réellement eu un". Et c'est précisément là que se joue la musique de Earth, en titillant l'équilibre instable, celui qui nous fait tenir debout, nous sentir en vie.



PS : Tout le monde parait avoir été tellement fasciné que je n'ai trouvé qu'une vidéo du concert de 2008 au Nouveau Casino.

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